La réalité virtuelle

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La prostitution des mineurs : qu’est-ce que c’est ?

La prostitution des mineurs est un phénomène en augmentation, notamment favorisé par l’essor des réseaux sociaux. 15 000 mineurs seraient victimes de prostitution en France, uniquement au sein de l’aide sociale à l’enfance (ASE), selon le Dr Aziz Essadek1, maître de conférences en psychologie clinique et sociale à l’Université de Lorraine.

En novembre 2021, l’État français a lancé le premier plan national de lutte contre la prostitution des mineurs composé de plusieurs axes : mieux repérer les enfants victimes, les accompagner dans leur reconstruction, et renforcer la répression des clients et proxénètes.

La prostitution des mineurs est aggravée par l’utilisation des réseaux sociaux, qui permettent aux exploiteurs d’attirer facilement des jeunes vulnérables. Selon un rapport du Ministère de l’Intérieur de 2020, environ 40% des victimes de prostitution ont entre 16 et 18 ans.

Les professionnels de terrain jouent un rôle important dans la prévention et l’accompagnement des jeunes victimes. Une étude menée par l’INSEE en 2020 a révélé que les victimes de prostitution sont souvent issues de milieux familiaux complexes, parfois marqués par des violences physiques ou psychologiques, ou encore une pauvreté extrême. Ces jeunes peuvent être victimes d’exploitation par des réseaux criminels ou ou recrutés par des individus gagnant leur confiance (petit ami, copine…). 

Pour cela, des programmes éducatifs ont été mis en place pour enseigner aux jeunes les dangers d’une utilisation excessive des réseaux sociaux et les manipulations auxquelles ils peuvent être confrontés.

L’objectif principal des actions de sensibilisation et de formation est de repérer les signaux et d’agir avant que les jeunes ne soient complètement sous emprise.

Selon un rapport de la CNCDH de 2021, 40% des victimes de prostitution en France sont identifiées dans des structures d’aide sociale comme l’ASE. Cela montre l’importance d’une meilleure sensibilisation et formation de ceux qui côtoient ces jeunes vulnérables au quotidien.

De plus, l’une des principales actions des autorités et des associations reste l’accompagnement des victimes dans leur parcours de sortie de la prostitution. Ce processus implique un suivi psychologique et social adapté, mais aussi un soutien juridique pour aider les jeunes à se reconstruire et à se réintégrer.

La mise en place de la réalité virtuelle

Développement du projet

Depuis 2022, l’association travaille en partenariat avec l’association Contre les Violences sur Mineurs (CVM) pour développer des outils préventifs sur la prostitution des mineurs. Grâce à un appel à projet de la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS), un financement de 100 000 € a été obtenu afin de créer et dispenser des modules de formation sur cette thématique.

Ce projet s’adresse aux professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), aux jeunes eux-mêmes ainsi qu’aux familles confrontées à ce fléau. Plus de 2 000 personnes ont d’ores et déjà bénéficié de ces formations, dont 1 000 mineurs, 600 professionnels et 500 membres de familles.

En octobre 2024, quatre films d’animation ont été publiés, mettant en scène les principales voies d’entrée des mineurs dans la prostitution. Ces épisodes sont inspirés de faits réels et sont utilisés lors des sensibilisations pour aider les personnes à reconnaître les dangers potentiels.

Ces films ont reçu un award en 2023 dans la catégorie « Action humanitaire et solidarité » lors du festival international du film responsable, les Deauville Green Awards. Depuis leur sortie, ils ont rencontré un large succès et ont été largement diffusés sur les réseaux sociaux et lors d’interventions sur le terrain.

Sur les réseaux sociaux de CVM et CAPA, les vidéos ont totalisé plus de 325 000 vues en moins de quatre mois. Elles ont également servi de supports pédagogiques lors de 15 interventions, 13 formations et 2 sensibilisations, touchant ainsi 228 adultes. Parmi elles, la vidéo “La Copine” a enregistré plus de 175 000 vues à elle seule.

Pourquoi la réalité virtuelle ?

Nous avons décidé d’intégrer la réalité virtuelle dans nos formations afin d’améliorer l’apprentissage par immersion, en mettant les participants face à des situations concrètes. Contrairement aux formations classiques, la VR fait appel à la pédagogie active, favorisant la mémorisation des concepts présentés.

Cet outil offre une expérience plus marquante et plus proche de la réalité. Il renforce également les compétences des professionnels en leur proposant des scénarios immersifs où ils peuvent identifier les signaux envoyés par les victimes et réagir de manière appropriée. Généralement, les personnes qui utilisent la réalité virtuelle ressortent avec plus d’informations et se sentent plus à l’aise pour mettre en pratique ce qu’elles ont appris.

Création du dispositif

Les scénarios de formation en réalité virtuelle ont été élaborés à partir de témoignages recueillis lors de formations et de retours d’expérience. L’objectif était de retranscrire fidèlement les situations auxquelles sont confrontés les jeunes et leurs accompagnants. 

Nos échanges avec l’association CVM ont permis d’identifier plusieurs messages essentiels à mettre en avant, notamment la lutte contre les idées reçues liées au genre et au milieu économique, la compréhension des mécanismes d’emprise, qu’ils soient amoureux – comme dans le cas des « loverboys » – ou financiers, via des « sugar daddies/mummies », ainsi que l’identification des signaux d’alerte comportementaux et environnementaux. L’un des enjeux importants était également d’apprendre à recueillir la parole des jeunes concernés avec justesse et précision.

Plusieurs scénarios ont été développés pour illustrer ces problématiques. L’un d’eux plonge les apprenants dans une chambre d’adolescent en MECS, afin d’identifier les signaux faibles et forts d’une situation de prostitution. Un autre met en scène un échange entre un profesionnel de santé et un jeune en situation de prostitution, permettant de mieux comprendre les mécanismes d’emprise et d’apprendre à recueillir sa parole. Un troisième représente les idées reçues à travers le discours des parents « ça n’arrive qu’aux autres », etc. Pour finir, un dernier scénario aborde la manipulation dans laquelle une personne amoureuse peut tomber à travers le “loverboy”. 

Pour donner vie à ces modules, des comédiens ont été sélectionnés et ont incarné, le temps d’une journée de tournage, des victimes, des proxénètes et des victimes collatérales. Le réalisme des images a été renforcé par le choix des lieux de tournage, notamment la MECS Clair Logis, mise à disposition par sa directrice. La création de ces formations immersives a été confiée à la Reality Academy, un organisme spécialisé dans la conception de modules de sensibilisation et de formation en réalité virtuelle. Simon et Mélanie Dupont, présidente de CVM, étaient présents pour superviser le tournage et apporter leur œil d’expert en tant que consultant.

Interview

Lucas Doppelt, directeur de production chez Reality Academy, a supervisé l’ensemble du projet. Il a imaginé et conçu les scénarios, recruté les comédiens, suivi les tournages et assuré la post-production.

Pouvez-vous présenter Reality Academy ?
Reality Academy est un organisme de formation qui crée des modules de sensibilisation et de formation en réalité virtuelle. Nous abordons actuellement dix thématiques allant des risques psychosociaux à la sécurité et l’environnement (HSE), en passant par l’inclusion, la diversité, le management et les ventes, la mobilité, l’environnement, etc.

Elle a été créée en 2019 et comptait à l’origine 4 salariés. Aujourd’hui, nous sommes 29. Nous développons principalement des formations « sur étagère », c’est-à-dire des modules standards destinés à plusieurs entreprises. Avec Colosse, nous avons réalisé pour la première fois une formation sur mesure, entièrement adaptée aux besoins. 

Aviez-vous déjà travaillé sur des projets liés à la prévention et la formation sur des thématiques comme celle-ci ? Si oui, lesquelles ?
Les sujets que nous avons traités et qui se rapprochent le plus de vos thématiques sont la diversité, notamment sur l’inclusion des personnes en situation de handicap en entreprise, l’égalité femmes-hommes, ainsi que la sensibilisation aux discriminations LGBTQ+.

L’un des atouts majeurs de la réalité virtuelle est qu’elle permet aux apprenants de se mettre à la place d’une autre personne. L’impact émotionnel est donc beaucoup plus fort que lors d’une simple formation théorique. Par exemple, dans notre module sur l’égalité femmes-hommes, un scénario permet à l’apprenant d’expérimenter une situation de harcèlement du point de vue d’une femme. Ce type d’immersion aide à prendre conscience de la lourdeur de certaines attitudes qui peuvent paraître anodines de l’extérieur.

Quels ont été les principaux défis techniques pour retranscrire cette problématique en réalité virtuelle ?  
Le premier défi a été de trouver des comédiens qui arrivent à transmettre les bonnes émotions avec justesse et la réalité de ces situations, d’autant plus qu’ils n’avaient pas eux-mêmes vécu ces expériences et qu’une grande partie des acteurs étaient mineurs. Simon nous a aidés en partageant des cas réels et en nous guidant pour que le langage utilisé soit le bon. 

Le second défi concernait l’interactivité. Nous souhaitions que l’apprenant ne soit pas qu’un simple spectateur mais qu’il puisse interagir avec l’environnement. Il a donc fallu trouver le juste équilibre entre immersion et interactivité. 

Le transport du matériel d’une intervention à l’autre posait un vrai défi pour les chargés de mission, nous avons donc cherché la solution la plus simple. Les valises contiennent tout le matériel nécessaire, prêt à l’emploi. Nous avons aussi conçu l’application de manière à ce qu’elle soit simple d’utilisation. Grâce à notre écosystème, le streaming est facilité, et une tablette permet de piloter les modules à distance ce qui permet à l’animateur de suivre en direct ce que voit l’apprenant.

 

Comment avez-vous travaillé les scénarios pour que l’apprenant comprenne toutes les facettes de la prostitution des mineurs (jeunes victimes, proxénète, adultes…) ?
Nous avons travaillé en collaboration avec Simon en partant de zéro et en s’appuyant uniquement sur son expertise et les informations qu’il nous a fournies. Nous avions identifié quatre situations que nous souhaitions aborder. Pour chacune d’elles, Simon nous a apporté des éléments importants à transmettre ainsi que des exemples de situations inspirées de cas réels. À partir de ces éléments, j’ai construit les premiers scénarios.

Nous avons ensuite effectué plusieurs allers-retours pour affiner les récits, en veillant à employer les termes les plus justes. Dès la première version, Simon s’est montré satisfait, ce qui nous a permis d’avancer rapidement. Cette phase de conception n’a donc pas été très longue.

 

Comment s’est déroulé le tournage des modules ?
Le tournage s’est très bien déroulé et a pu être réalisé en une seule journée, alors que nous avions prévu à l’origine deux jours. Nous avons eu la chance de pouvoir tourner dans une MECS grâce à la femme de Simon, ce qui nous a permis d’avoir de vrais décors réalistes, 

Chaque module a nécessité environ 2h à 2h30 de tournage. Un des défis à la vidéo 360° est que la caméra filme tout autour d’elle, ce qui signifie que l’équipe technique apparaît également dans le champ. Il a donc fallu prévoir des ajustements en post-production pour les faire disparaître. Autre particularité, les comédiens doivent regarder directement la caméra, ce qui va à l’encontre des réflexes habituels des acteurs au cinéma où l’on doit normalement éviter de regarder l’objectif. Et le beau temps était au rendez-vous.

En quoi la réalité virtuelle apporte-t-elle une plus-value par rapport aux méthodes de formation plus classiques en particulier sur la thématique de la prostitution ?  
L’un des principaux atouts de la réalité virtuelle, c’est l’attention : l’utilisateur est totalement immergé et ne peut rien faire d’autre contrairement aux méthodes de formation plus classiques. On dit qu’en réalité virtuelle, l’apprenant a 100% d’attention.

Un autre aspect clé, c’est la capacité de la VR à placer l’apprenant dans la peau d’un autre – ce qu’on appelle l’« embodiment » (incarnation en anglais). Cela lui permet de vivre la situation de l’intérieur et de prendre des décisions par lui-même. Cette sollicitation favorise une meilleure appropriation du sujet, car l’utilisateur ne reste pas passif.

La VR ajoute aussi du réalisme, grâce à l’interactivité et à la gamification. Par exemple, dans certaines séquences, l’utilisateur peut chercher des indices dans une chambre. En fonction des besoins, on choisit entre une modélisation en 3D ou une prise de vue réelle pour maximiser l’impact émotionnel. Dans le cas de la prostitution des mineurs, la plus adéquate était la prise de vue réelle. 

Avez-vous constaté des retours d’expérience montrant une meilleure mémorisation grâce à la réalité virtuelle ? 
Nous avons d’excellents retours d’expérience sur l’impact de la réalité virtuelle en formation, même si nous avons surtout pu évaluer son efficacité en interne. Depuis six ans que nous développons ces modules, les retours sont très positifs. Elle apporte une vraie valeur ajoutée aux formations, en modernisant des thématiques souvent abordées de manière plus classique.

Les résultats montrent aussi une amélioration par rapport aux méthodes traditionnelles. Le taux de complétion des formations en VR est proche de 90%, la mémorisation des informations est estimée quatre fois plus efficace, et l’expérience elle-même plaît au public, puisque 87% des apprenants encouragent d’autres personnes à suivre la formation. Aussi, 92% des participants se sentent plus à l’aise pour mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Ces chiffres montrent qu’elle favorise une meilleure mémorisation.

 

Si vous deviez résumer l’importance de la VR pour des formations comme celles-ci en une phrase, laquelle serait-elle ?
La VR permet une immersion réaliste et empathique, offrant une meilleure compréhension des enjeux et des impacts de la prostitution des mineurs, tout en renforçant l’engagement et la sensibilisation des apprenants.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec nous ? 
Nous avons l’habitude de travailler sur mesure avec nos clients, et ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de découvrir et de traiter des sujets que je connais peu. Ce que j’ai aimé sur ce projet, c’est de faire des films avec des comédiens sur des sujets complexes qui sortent de l’ordinaire. Traiter des sujets concrets comme celui-ci, c’est assez compliqué, c’est comme marcher sur des œufs, il faut faire attention. 

Si nous retravaillons ensemble à l’avenir, tout l’écosystème est déjà en place pour intégrer facilement de nouveaux contenus.

L’impact pour l'association

L’utilisation de la réalité virtuelle permet de créer des formations immersives, plus engageantes et impactantes pour les apprenants. Ces modules permettent d’illustrer de manière concrète les signaux d’alerte et les mécanismes d’emprise. 

Nous pourrons toucher un public plus large et offrir une expérience plus immersive et pédagogique. Cette approche permet de mieux capter l’attention des participants et d’améliorer la rétention des informations. Elle permettra également de préparer au mieux les professionnels à intervenir face à la problématique de la prostitution des mineurs. 

Elle renforcera également la visibilité de l’association auprès des partenaires et des acteurs impliqués dans la lutte, augmentant ainsi les opportunités de collaboration. 

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