La plupart des enfants traverse les étapes du développement psychosexuel de manière saine et naturelle. Cependant, certains s’écartent de cette trajectoire et manifestent des comportements sexuels problématiques (CSP). Ces comportements, inadaptés à l’âge (enfant de moins de 12 ans) et au niveau de développement de l’enfant, peuvent être abusés, intrusifs ou non réciproques.
Aujourd’hui, il n’existe pas de définition officielle et unanime des CSP en France, ce qui rend leur identification et leur prise en charge plus complexes. Bien que l’exploration et la curiosité sexuelle fassent naturellement partie du développement de l’enfant, les CSP se distinguent par leur caractère inapproprié et préoccupant. Ils peuvent se traduire par des gestes, des paroles ou des attitudes inadaptées, une fixation excessive sur la sexualité ou une méconnaissance des notions de consentement et de limites.
Certaines études montrent une augmentation des CSP ces dernières années. Cependant, une réserve doit être émise. Y a-t-il vraiment une augmentation en nombre absolu ou une plus grande tendance à signaler ces comportements (Chaffin et al., 2008) ?
Les CSP ne sont pas un diagnostic psychiatrique, mais doivent être une alerte pour des investigations ultérieures.
St-Amand et al., 2017
Malgré cette variabilité, les professionnels s’accordent à classer les CSP parmi les troubles du comportement (Moser et al., 2004). S’ils ne sont pas pris en charge de manière adaptée, ils peuvent engendrer une souffrance importante pour l’enfant initiateur, la victime et leur entourage (St-Amand et al., 2017).
Certains de ces actes se déroulent comme des jeux ou des défis collectifs, où l’agresseur ne comprend pas toujours la gravité de ses actes.
Il est essentiel de distinguer les comportements sexuels normaux, qui relèvent de la découverte et du développement, des comportements sexuels problématiques (CSP), qui peuvent être préoccupants.
Comment différencie-t-on un comportement sexuel sain d’un comportement problématique ? Certains indices permettent de savoir si un comportement est problématique :
- la différence d’âge ou de statut (petit copain, inconnu…)
- l’utilisation de la force, de la menace ou de l’intimidation
- des comportements sexuels adultes
- des douleurs physiques ou des émotions désagréables
- la récurrence des comportements
- la persistance des comportements malgré les limites imposées par l’adulte
- la notion de secret
Ils remarquent également que les mineurs auteurs ont souvent une attitude de déni, qu’ils refusent de reconnaître ce qu’ils ont fait ou minimisent la gravité de leurs actes.
Critères | Comportements sexuels normaux | Comportements sexuels problématiques (CSP) |
---|---|---|
Âge et développement | Adaptés à l'âge et au stade de développement | Inappropriés pour l'âge ou le stade de développement |
Caractère exploratoire | Basés sur la curiosité et le jeu | Répétitifs, compulsifs ou coercitifs |
Consentement | Mutuel, sans contrainte ni pression | Imposés, impliquent une inégalité de pouvoir |
Réaction à l’encadrement adulte | Facilement redirigés, acceptent les règles | Persistants malgré l'intervention des adultes |
Contexte émotionnel | Occasionnels, sans détresse émotionnelle | Provoquent de la gêne, de l’anxiété ou de la peur |
Impact sur les autres | Nuisance minimale, pas de mal causé | Peuvent causer du mal physique ou psychologique |
Comprendre et identifier les CSP
Certains enfants sont plus susceptibles de développer des comportements sexuels problématiques en raison de multiples facteurs : individuels, parentaux, socio-économiques et un développement sexuel perturbé comme ça pourrait être le cas pour un enfant victime de violences sexuelles. Ces éléments ne sont pas systématiquement la cause directe des CSP, mais ils augmentent la probabilité de leur apparition en perturbant le développement de l’enfant et sa capacité à comprendre les normes sociales et sexuelles appropriées.
Sur le plan individuel, certains troubles neurodéveloppementaux comme les troubles du spectre de l’autisme ou le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) peuvent affecter la perception des normes sociales et des limites interpersonnelles.
Certaines caractéristiques personnelles, comme un développement sexuel perturbé en raison de violences sexuelles, peuvent aussi rendre un enfant plus vulnérable. Une faible adaptabilité, une intolérance à la frustration ou encore des difficultés à gérer ses émotions peuvent favoriser des comportements inadaptés. L’impulsivité et un manque de contrôle de soi, souvent associés à des troubles du comportement, sont également des éléments pouvant entraîner l’apparition de CSP.

Le contexte familial joue également un rôle déterminant. Un environnement marqué par la négligence, les violences physiques ou psychologiques, ou encore l’exposition à des comportements sexuels inappropriés ou à un environnement incestueux peut perturber le développement psychosexuel de l’enfant. Il n’est pas rare que des traces d’un traumatisme parental se répercutent inconsciemment sur l’enfant.. De plus, le fait que cela soit un sujet douloureux pour lui fait qu’un silence autour des violences sexuelles peut s’installer. L’absence de repères éducatifs clairs et un manque de supervision parentale favorisent l’apparition de comportements inadaptés. À l’inverse, une hypersexualisation précoce, notamment par l’exposition à des contenus explicites, peut brouiller la perception de la sexualité et des limites.
Enfin, l’environnement socio-économique dans lequel évolue l’enfant influence son rapport à la sexualité. Par exemple, l’absence d’éducation à la sexualité et aux notions de consentement, ainsi que le manque de dialogue avec des adultes de confiance, empêchent l’enfant de comprendre ce qui est approprié ou non dans ses interactions avec autrui.
Impact sur les enfants présentant des CSP
Les comportements sexuels problématiques (CSP) chez les enfants peuvent avoir des répercussions significatives, tant pour les enfants qui les manifestent que pour ceux qui en sont victimes. Les enfants présentant des CSP peuvent éprouver de la confusion, de l’anxiété, de la culpabilité ou de la honte. Ils peuvent aussi entraîner des difficultés relationnelles, notamment dans les interactions sociales, rendant plus complexe l’établissement de relations appropriées avec leurs pairs.
Impact sur les autres enfants
Pour les autres enfants, être victime ou témoin d’enfants présentant des CSP peut provoquer des traumatismes psychologiques, se manifestant par de l’anxiété, de la dépression, des troubles du sommeil ou des difficultés scolaires. L’exposition à des comportements sexuels inadaptés peut également perturber le développement psychosexuel et altérer la perception qu’un enfant a de la sexualité, menant parfois à une confusion ou à l’apparition ultérieure de comportements sexuels inappropriés.
Conséquences pour l'entourage et le milieu scolaire
La présence de CSP peut générer dans un milieu scolaire un climat d’inquiétude chez les parents, les éducateurs et les autres enfants, affectant le bien-être général de l’environnement familial et scolaire. Les professionnels se retrouvent souvent démunis face à ces situations et expriment un besoin accru de formation pour pouvoir intervenir de manière adaptée.
Comment réagir et quelles sont les lois en vigueur ?
Lorsqu’un enfant adopte un comportement sexualisé, il est essentiel de trouver un équilibre entre intervenir et laisser faire. Il est important de répondre à ses préoccupations en lui fournissant des informations simples, claires et cohérentes, tout en utilisant les vrais mots pour nommer les parties du corps. Si l’on surprend l’enfant dans une situation de ce type, mieux vaut éviter les réactions démesurées et lui expliquer calmement ce qui est acceptable ou non. L’enfant a besoin de comprendre les limites entre ce qui est permis, toléré et interdit. Il est également essentiel d’aborder avec lui les notions de pudeur, d’intimité et de respect, et de les appliquer dans nos propres interactions avec lui.
Difficultés de prise en charge juridique pour les mineurs
Depuis 2021, l’ensemble des textes applicables a été réuni dans un même Code, succédant à l’ordonnance de 1945, longtemps référence en la matière.
Depuis cette réforme, la justice pénale des mineurs a été profondément modifiée avec l’adoption d’un nouveau code. Celui-ci instaure notamment une présomption de non-discernement pour les mineurs de moins de 13 ans, c’est-à-dire que l’on part du principe qu’ils ne sont pas capables de comprendre la portée de leurs actes, sauf preuve contraire.
L’intervention de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) s’inscrit dans cette démarche globale : accompagner, protéger, et surtout comprendre.
Bien souvent, ce type de situation relève du juge des enfants et d’une logique de protection. Par exemple, un enfant de 5 ans présentant des comportements sexuels inadaptés peut faire l’objet d’une information préoccupante, entraînant une enquête sociale afin d’évaluer son cadre de vie.
Des mesures éducatives peuvent être mises en place, voire des sanctions pénales dans des cas graves. Mais celles-ci restent adaptées à l’âge, à la personnalité et à la situation du mineur.
Au cœur des démarches judiciaires ou éducatives, la question du « pourquoi » demeure centrale. Pourquoi un enfant en arrive-t-il à adopter de tels comportements ? Quelle est son histoire ? Quelles sont ses souffrances ? Les mesures d’investigation permettent d’aller au-delà du simple fait pour envisager une réponse globale, en lien avec l’éducation et la prévention.

Interview
Alexandra Vidal-Bernard
Docteure en psychologie clinique et psychopathologie – maître de conférence.
Spécialiste des comportements sexuels problématiques chez les enfants.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Alexandra Vidal Bernard, je suis docteure en psychologie clinique et en psychopathologie, et maître de conférences à l’Université Marie et Louis Pasteur de Besançon. En tant qu’enseignante-chercheuse, je suis spécialiste dans les comportements sexuels problématiques (CSP) chez les enfants.
Depuis 2012, je mène des recherches spécifiques sur cette thématique, et j’ai développé une expertise particulière autour des agirs violents, c’est-à-dire des passages à l’acte impulsif, et notamment des CSP, qui constituent une forme d’agir sexuel. À ce jour, il s’agit de la seule étude en France portant spécifiquement sur les enfants de moins de 12 ans présentant ce type de comportement.
Dans ce cadre, j’ai collaboré avec le CRIAVS de Bourgogne-Franche-Comté pour mettre en place un dispositif clinique et de recherche dédié à l’évaluation des enfants concernés. Ce projet a bénéficié du soutien financier du ministère de la Santé et du département, et a pu être pérennisé.
Aujourd’hui, je travaille à la création d’un centre d’expertise et de recherche sur les CSP, afin de structurer davantage la production scientifique dans ce domaine et de diffuser l’expertise que nous avons pu développer au fil des années.
Comment différencier un acte isolé d’un trouble plus profond ?
Un acte isolé peut tout à fait être le signe d’un trouble profond. Par exemple, lorsqu’un comportement sexuel problématique (CSP) est considéré comme grave, notamment en cas de contrainte exercée sur un autre enfant, cela peut révéler une souffrance importante, même si le comportement n’a eu lieu qu’une seule fois.
Ce qui rend ces situations encore plus complexes, c’est qu’il existe une multitude de profils et de niveaux de compréhension. Beaucoup d’enfants présentant des CSP sont déjà suivis par des professionnels. D’où la nécessité d’un travail en réseau entre professionnels (psychologues, éducateurs, institutions…).
Dans tous les cas, un CSP chez un enfant découle toujours d’une forme de souffrance vécue, qu’il s’agisse d’agressions, d’un environnement incestueux ou d’autres contextes traumatiques. Ces enfants reproduisent ce qu’ils ont vu ou subi, sans réussir à le verbaliser. Le passage à l’acte devient alors une manière d’exprimer ce qu’ils ne peuvent pas dire.
Il est également important de rappeler que tous les enfants présentant des CSP ne deviendront pas forcément auteurs d’agressions sexuelles à l’âge adulte.
Les CSP relèvent de l’agir : ce sont des actes posés en l’absence de mots. Ces enfants n’ont ni les ressources, ni le cadre pour contenir ou exprimer ce qu’ils ressentent. Alors, faute de pouvoir dire, ils retournent au corps.
Y a-t-il vraiment une augmentation des CSP ou une plus grande tendance à signaler ces comportements (Chaffin et al., 2008) ?
En 2012, il était presque impossible d’aborder la question des comportements sexuels problématiques (CSP) chez les enfants. Le sujet était encore très tabou, souvent censuré, et peu de professionnels osaient en parler ouvertement. Aujourd’hui, les mentalités évoluent peu à peu : les professionnels sont davantage à l’écoute, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Les pouvoirs publics doivent désormais comprendre que cette problématique ne peut être prise en charge de manière isolée. Elle nécessite une réponse collective, impliquant l’ensemble des acteurs concernés.
Les établissements les plus confrontés aux CSP sont souvent les MECS et les ITEP. À l’époque, on les pointait facilement du doigt, comme si ces structures étaient responsables de l’émergence de ces comportements. Or, ce sont justement les enfants placés dans ces institutions, souvent fragilisés par des parcours de vie marqués par les violences, qui sont les plus à risque de présenter des CSP.
Aujourd’hui, on est un peu moins dans la stigmatisation, même si les conséquences restent lourdes : certains professionnels ou établissements ont dû fermer ou se retirer de leur activité face à l’ampleur et à la complexité de ces situations.
Malgré cela, on observe depuis quelques années l’émergence d’initiatives portées par des professionnels engagés, qui cherchent à mieux comprendre et à mieux accompagner ces enfants. Tous ne disposent pas encore des outils nécessaires, mais l’envie de faire bouger les lignes est bien là. Il faut maintenant espérer que ce sujet bénéficie d’un regard plus attentif et qu’on continue à avancer ensemble, car le travail est loin d’être terminé.
Y a-t-il des erreurs courantes dans la gestion des CSP que l’on devrait éviter ?
Deux erreurs majeures entourent la question des comportements sexuels problématiques (CSP) chez les enfants : la banalisation et la dramatisation.
La banalisation consiste à qualifier trop rapidement ces actes de simples « jeux sexuels ». Tout est alors mis sous silence, comme si ce n’était pas grave. Ce mécanisme empêche la prise en compte de la souffrance de l’enfant auteur. Or, s’il exprime quelque chose à travers ce comportement, c’est qu’il y a un problème sous-jacent. En minimisant les faits, on bloque toute possibilité d’accompagnement adapté.
À l’inverse, la dramatisation peut être tout aussi dommageable. Elle peut se traduire, par exemple, par l’exclusion immédiate de l’enfant des institutions, ce qui ajoute une forme de violence supplémentaire à un parcours souvent déjà chaotique.
Un autre frein important est le manque de coordination entre les professionnels qui interviennent autour d’un même enfant. Des soins peuvent être mis en place, mais s’il n’y a pas suffisamment d’échanges et de liens entre les acteurs (éducateurs, soignants, enseignants…), l’accompagnement perd en cohérence et en efficacité.
Avez-vous des chiffres sur ce sujet ?
Il n’existe pas, à ce jour, de statistiques officielles en France sur les comportements sexuels problématiques (CSP) chez les enfants. Mais certaines études apportent des repères : on estime que 13 à 30% des enfants en difficulté, que ce soit en MECS, dans des dispositifs de protection de l’enfance ou dans des structures accueillant des enfants présentant des troubles du comportement, développent des CSP.
Un rapport du Sénat publié en 2022 a également mis en lumière un chiffre marquant : parmi les violences sexuelles entre mineurs, 28,5% seraient commises par des enfants de moins de 12 ans.
Dans mon propre département, nous avons étudié une trentaine de situations. En croisant ces données, nous avons pu estimer qu’il se produit en moyenne une situation de CSP toutes les trois heures.
Enfin, une étude plus ancienne, menée en 1993, avait interrogé des personnes condamnées pour des agressions sexuelles : la moitié d’entre elles rapportaient avoir eu leurs premiers gestes avant l’âge de 12 ans. Cela montre à quel point l’intervention précoce est cruciale.
Selon vous, en quoi l’absence de définition officielle des CSP et de formations des professionnels en France complique-t-elle leur prise en charge ?
Il existe tout de même une définition qui fait consensus à l’international, notamment celle proposée par l’ATSA Task Force en 2008 : « Des comportements impliquant des parties sexuelles du corps, initiés par un enfant de 12 ans et moins, et qui sont inappropriés d’un point de vue développemental ou potentiellement néfastes pour l’enfant lui-même ou pour les autres. »
Mais en France, l’approche est souvent influencée par notre culture psychodynamique. On se concentre sur ce qu’il y a « sous l’iceberg », là où d’autres, comme les Anglo-saxons, adoptent une lecture plus comportementaliste. En clair, en France, on cherche à comprendre ce qui se passe en profondeur, là où les Anglo-Saxons se concentrent surtout sur les comportements visibles. Ici, on considère les CSP comme une forme d’agir, révélatrice d’un fonctionnement psychique sous-jacent.
Cela dit, le manque de formation initiale sur le sujet entraîne de nombreuses erreurs de diagnostic. Beaucoup d’enfants ne sont pas véritablement accompagnés, ce qui peut les conduire à répéter ces comportements.
Conclusion
Les comportements sexuels problématiques (CSP) chez les enfants nécessitent une identification claire pour éviter les confusions avec une exploration sexuelle normale. L’absence de définition officielle en France complique leur prise en charge. Certains facteurs de risque sont identifiés : troubles neurodéveloppementaux, environnement familial défavorable, manque d’éducation à la sexualité et impulsivité. Les CSP ont des conséquences importantes, tant pour l’enfant concerné que pour les victimes et l’entourage. Sans prise en charge dès le plus jeune âge, les comportements sexuels problématiques peuvent s’aggraver et, dans certains cas, évoluer vers des agressions sexuelles à l’adolescence ou à l’âge adulte.
Bibliographie
Les comportements sexuels
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problématiques chez les enfants :
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des facteurs associés
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www.sexuelle-gesundheit.ch
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www.centre-saint-exupery.fr
Les enfants aux comportements
sexuels problématiques à
l’épreuve du silence institutionnel
www.cairn.info
Enfants ayant des comportements sexuels
problématiques
www.marie-vincent.org
Quoi faire devant un
comportement sexualisé
www.chusj.org