Le climat incestuel, une notion peu connue

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Très peu documentée, la notion de « climat incestuel » aussi appelée « inceste moral » est un terme assez peu répandu dans la conscience collective mais qui commence à être traitée par les associations et les médecins, estimant que les conséquences pour les victimes peuvent être tout aussi désastreuses que l’inceste lui-même. 

Le climat incestuel, qu'est-ce que c'est ?

L’inceste se définit par une agression sexuelle ou un viol commis par un ascendant ayant un lien de parenté avec la victime. 

Quant à l’incestuel, c’est une notion qui a été introduite par le psychiatre et psychanalyste français Paul-Claude Racamier. Bien que cette notion ne soit pas reconnue par la loi, les conséquences psychiques sont visibles. L’incestuel se caractérise par une ambiance, un climat qui se situe au sein de la famille, sans qu’il n’y ait de passage à l’acte. 

Il désigne un climat de relations intrafamiliales où il y a une confusion des places et des rôles entre les différents membres d’une même famille. Il y a un empêchement de l’autonomisation de l’enfant, un déni de son développement et de ses besoins. Les parents ne posent pas l’interdit de manière claire et ne respectent pas la place de l’enfant. 

Ainsi, les limites entre ce qui est possible ou non entre un parent et son enfant sont poreuses et pas clairement définies. 

Témoignage

Longtemps, Myriam, 21 ans, s’est demandé si elle avait « réglé son Œdipe ». La « peur de passer pour une menteuse » aussi. L’histoire commence au divorce de ses parents. Elle a 10 ans, et se rend chaque semaine chez son père qui menace de se tuer. « Je ne vais pas m’en sortir », répète-t-il. L’enfant se met à préparer les repas, à faire le ménage tandis que lui s’épanche – « ta mère ne voulait plus faire l’amour avec moi », « elle avait les seins qui tombent ». Dîners en tête-à-tête, séances ciné aux scènes crues. « J’avais la sensation d’être sa meuf », dit-elle, indiquant qu’à cette époque déjà, son corps est réglé. A 11 ans, elle découvre un film interdit aux moins de 16 ans. « Un souvenir horrible. Il bougeait sur le canapé, j’ai pris conscience qu’il avait un sexe entre les jambes.» 

Bientôt, une copine arrive dans la vie du père, les préservatifs traînent. Le soir, il prive Myriam de son téléphone, insinuant qu’elle se masturbe avec, entre dans sa chambre sans frapper. L’ado verrouille la salle de bains, peine à mettre ses sous-vêtements au sale. « Je n’avais pas peur du passage à l’acte mais un sentiment d’insécurité, d’un truc malsain. » A l’heure des premiers émois, elle se sent bloquée. « J’avais l’impression de lui appartenir. Accepter le contact avec un garçon, c’était comme le trahir », pense Myriam. Déjà sous antidépresseurs, elle prend du poids, s’alcoolise, s’assomme de joints, glisse vers une sexualité compulsive. Tombe en dépression. S’ensuit une hospitalisation en psychiatrie. 

Un jour, elle arrive en larmes à un cours particulier. Sa professeure l’interroge, puis la convainc de partir du domicile paternel. « Elle avait compris qu’il y avait quelque chose de pas normal. Si, elle me disait ça, c’est que c’était vraiment dangereux », réalise Myriam, qui part déterminée à ne plus retourner chez ce père. Sa mère, qui n’avait rien dit jusqu’ici, semble soulagée. La jeune fille découvre qu’elle aussi avait subi la déviance de son ex-mari. 
Source : Libération

Les différentes formes de climat incestuel

Robert Courtois, psychiatre au CHU de Tours, responsable du CRIAVS CVL, distingue trois formes : 

1. Une forme où il y a un empêchement de différenciation de l’enfant, au sens d’un individu, un empêchement de son altérité. Il permettrait de servir les besoins narcissiques de ses parents. 

« Je sais ce que t’aimes ou pas quand même, c’est moi qui t’ai faite » 

« Jamais aucune autre femme ne saura mieux que moi te combler »

2. Une forme où l’enfant n’est pas à sa place, où il serait par exemple le confident d’un parent à propos d’éléments qui ne le concernent pas comme la sexualité, la violence…

« Je te souhaite de trouver un meilleur coup que moi mon fils, ta mère c’est une plaie »

« Je n’ai jamais autant pris mon pied qu’avec ton père »

3. Une forme où l’enfant va être pris dans les enjeux de demandes parentales autour de jeux, de manipulations, parfois de menaces et de violences qui peuvent amener progressivement des violences sexuelles.

Voici quelques exemples qui peuvent caractériser le climat incestuel :

  • Enfant dormant avec les adultes à un âge avancé ;
  • Enfant à un âge avancé prenant leur bain avec les adultes ;
  • Nudité exposée ;
  • Enfant non protégé de la vie sexuelle des parents ou de confidences (exhibitionnisme des parents sur leur intimité et leur sexualité ; enfant qui devient le confident d’un parent, sur la sexualité du couple par exemple) ;
  • Pas de frontière, de limite ou de respect de l’intimité individuelle (portes ouvertes, non-respect de la vie privée, intrusions dans la salle de bain…) ;
  • Exposition à des vidéos pornographiques ;
  • Commentaires / Comportements / Attitudes déplacées vis-à-vis du corps de l’enfant ;
  • Enfant qui occupe une position parentale.

Une personne ayant grandi dans ce climat incestuel, sera toujours confrontée à ses questionnements internes. Elle ne saura jamais dire si ce qu’elle a vécu était normal et remettra tout en cause, tout en minimisant les faits. Elle se culpabilisera d’émettre un quelconque jugement sur son vécu et/ou son éducation et se jugera elle-même responsable de toutes ces difficultés et du mal-être qu’elle ressent.

Les faits étant ancrés dans le quotidien, l’éducation, l’amour familial et parental, il est extrêmement difficile de se détacher de cet emprisonnement.

Témoignage

Sophie Goettmann est médecin, dermatologue plus précisément. Elle dessine aussi, elle peint, elle écrit et elle chante. Sophie a grandi dans les années 1970 dans une famille bourgeoise adepte du naturisme et du libertinage. Elle raconte cette enfance incestuelle dans une chanson, la Petite Ondine, et dans un livre : Waterbed. Ce récit est inspiré de sa propre histoire : celle d’une petite fille qui tente de grandir au milieu des corps nus des adultes, dans une maison qui sent le sexe et dans laquelle elle n’a pas d’espace. Écoutez le témoignage de Sophie

Dynamiques familiales

Par le climat incestuel qu’il établit, le parent incestuel tente de lutter contre la difficulté à faire face à des angoisses de perte. Il peut contribuer à éviter la séparation des membres de la famille (parents-enfants) ou des générations et à entretenir pour le parent un fantasme de prolongement de soi en mettant l’enfant à son service. 

Le fonctionnement des familles incestuelles ou incestueuses peut être favorisé par l’existence de carences affectives précoces chez l’un des parents ou les deux, d’antécédents d’agressions sexuelles dans l’enfance dans un tiers des cas, par la survenue d’évènement traumatique, de séparation affective… 

Il existe probablement une grande hétérogénéité de profils des parents incestueux. On décrit des parents qui souvent n’ont pas réussi à se structurer suffisamment, qui peuvent être passifs, soumis, dépendants, inhibés dans leur vie relationnelle. 

On peut rapprocher ces profils des actes incestueux commis sur les enfants après des périodes de tensions conjugales ou de séparations. Par exemple, un père qui substituerait sa fille à sa femme dans une demande à la fois affective et sexuelle. 

Documentation

Comment reconnaitre les signes d’un climat incestuel ? 
11.01.2024 – CLAIRE GOTTA 

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Ces climats familiaux qui favorisent l’inceste 
10.02.2021 – THE CONVERSATION 

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L’inceste et l’incestuel
DE PAUL-CLAUDE RACAMIER
ÉDITIONS DUNOD

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Grandir dans un climat incestuel : le témoignage de Sophie Goettmann
PODCAST « FAITES DES GOSSES »

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